Croquis express dans le métro et dans une isakaia
Comme d'habitude, j'exagère. Bien sûr qu'il n'y a pas que du paléolithique dans ces dessins là. Au risque de la contorsion, on appréhende, en effet, souvent l'étranger par la bouche. Et de sourire à songer que dessiner se dit "croquer"... L'autre est celui qui ne mange pas comme moi. Les aliments, leur préparation, leur présentation, la façon de les manger, tout nous désigne alors comme différents l'un de l'autre.
Ainsi tu y es, tu es bien au Japon: les baguettes, les sushis, les soupes étranges si éloignées du potage des familles d'ici, du fameux poireaux-pommes de terre que Duras décrit tellement bien. Tu goûtes l'ailleurs et je songe à toi devant ma Morteau-salade qui m'apparaît en retour comme davantage ancrée dans son terroir. Pire, je mesure que je me suis habitué et comme peu à peu enraciné ici. Je me verse la cancoillotte sur ma patate avec une dextérité toute jurassienne; je suis donc devenu d'ici: cela ne me surprend plus, ce fromage jaune et tiède et surtout je n'ai plus à regarder comment font les autres.
Je me souviens du guacamole à Los Angeles et à quel point "mild" signifiait fort, à quel point je savais découper le saumon fumé comme personne après quatre ans de Suède, ou bien la joie qui me prenait à plonger mes "koksisters" dans le miel à Johannesbourg. Autant de plats qui m'avaient surpris, que je ne connaissais pas et que je dégustais en début de séjour penaud et un rien inquiet. Mets qui me semblèrent pourtant un jour évidents.
Tu vois, ma salade comtoise fait sa madeleine et je suis dans tous ces endroits où soudain je me suis senti chez moi. En général, juste avant que l'on m'envoie ailleurs goûter d'autres cuisines.
Quand on hésite plus sur la carte d'un restaurant c'est qu'on est un peu chez soi non?
Tu sais ce qu'il faut commander là-bas dans ce Cipango qui me prive de toi, tu te régales de plats que je ne saurais même pas nommer. Tu es vraiment non seulement parti mais bien arrivé.
Pour la peine, je vais commander un bon Savagnin dont la profondeur ambrée me surprend encore le palais et que tu m'as fait découvrir. Espérant sournoisement que s'insinue quand même aussi quelque nostalgie dans ton univers de sake.